Premières rencontres de l’Institut Européen Est-Ouest

L’Avant-garde russe dans l’Atelier du Père Castor : N. Parain, H. Guertik, A. Exter ; F. S. Rojankovski

 

 

L’Avant-garde russe dans l’Atelier du Père Castor :
N. Parain, H. Guertik, A. Exter, F. S. Rojankovski

 

Marianne BESSEYRE et Marie-Thérèse GOUSSET
Bibliothèque nationale de France

 

Les albums pour enfants illustrés par des émigrés russes dans les années 1930, sous l’impulsion du libraire français Paul Faucher, alors en quête d’une forme éditoriale véritablement adaptée aux besoins pédagogiques et aux intérêts enfantins, sont indissociables des courants avant-gardistes et de la création foisonnante qu’ont connus ces artistes dans leur pays avant leur arrivée en France.

Ce « livre nouveau » inspiré du modèle soviétique, bon marché mais d’une esthétique exigeante, est évolutif et périssable ; il invite à une lecture active et créative à partir de jeux d’assemblages et de construction, d’où le choix de l’animal éponyme des « Albums du Père Castor ». Nathalie Parain, formée aux Vhutemas de Moscou où enseignaient les constructivistes, dans l’atelier de Kontchalovski, donne dès 1931 une impulsion décisive à la collection en attirant par son style d’autres illustrateurs « qui n’avaient pas songé jusqu’alors que le livre d’enfants était digne de leur talent »[1] : autour d’elle, collaborant parfois[2], H. Guertik, F. S. Rojankovski, A. Exter, contribuent au succès de l’entreprise de Paul Faucher. Ils se nourrissent en particulier de l’expérience de Lebedev et Bilibine dans le domaine de la littérature enfantine, et diffusent certaines idées du Bauhaus, mais aussi du Stijl, dans l’espace pictural renouvelé de leurs albums : l’emploi d’une grammaire des formes simplifiée, basée sur des figures géométriques élémentaires et universelles (le rond, le carré, le triangle, le cylindre) associé à l’usage de couleurs pures, procure au dessin visibilité et force de caractère[3]. Ces motifs en à-plats que n’enferme plus le cadre de la page se prêtent à d’infinies combinaisons et métamorphoses, et « appellent » le ciseau[4]. D’autres planches usent de la technique cubiste pour rendre le volume des objets de la vie quotidienne[5]. Équilibrant une palette souvent vive, vides et blancs sont employés parfois pour « réserver » une forme et en laisser jaillir la silhouette de la page, comme en négatif, mais avec une vigueur et un modelé accrus. Car ni la stylisation ni l’épure de ces livres d’artistes n’ont pour corollaire un manque de sensibilité ou de réalisme, bien au contraire, selon le témoignage même de Paul Faucher : « Les dessins qui, tels ceux de Nathalie Parain communiquent à l’image sa plénitude, la couleur et la poésie des choses, ne peuvent qu’inciter l’enfant à mieux voir et à mieux sentir[6]. »

 



Marianne Besseyre

Marianne Besseyre, archiviste-paléographe, conservateur au Centre de recherche sur les manuscrits enluminés de la Bibliothèque nationale de France, a précédemment classé les archives du fonds Brice Parain conservé au département des Manuscrits ; la BnF a organisé en juin 2002 une journée d’étude consacrée au philosophe dont les Actes doivent paraître l’année prochaine, sous sa direction, dans les Cahiers de la NrF.

 

Marie-Thérèse Gousset

Marie-Thérèse Gousset, historienne d’art et peintre, est ingénieur de recherche au Centre de recherche sur les manuscrits enluminés de la Bibliothèque nationale de France (département des Manuscrits). Elle a publié de nombreux ouvrages sur les manuscrits à peintures.

 

L’une et l’autre ont récemment contribué au livre-catalogue Bestiaire du Moyen Âge (sous la dir. de M. H. Tesnière et T. Delcourt, Paris, Somogy, 2004). Si leurs travaux portent essentiellement sur la période médiévale, l’art du XXe siècle leur est un autre domaine de prédilection.


[1] Conférence de Paul Faucher à Girenbach en 1957 portant sur « La mission éducative des albums du Père Castor ».

[2] Voir N. Parain et H. Guertik, L’Album magique, 1933.

[3] Voir N. Parain, Ronds et carrés, 1932.

[4] Voir N. Parain, Crayons et ciseaux, 1931. Le jeu avec le papier, la confection de ribambelles en frises relevait de pratiques ludiques russes traditionnelles.

[5] Voir N. Parain, Bonjour Bonsoir, 1934.

[6] Voir note 1.